Les mutations de l’agriculture

Le weekend du 11 novembre était organisé un événement exceptionnel autour de Paul François, un agriculteur charentais venu témoigner de son engagement lors des projections d’un documentaire qui lui était dédié. Cette opération, menée en partenariat avec La Mairie de Saint-Jorioz, le Grand Annecy et Harmonie Mutuelle, a permis à plus de 260 spectateurs de découvrir le combat d’un paysan intoxiqué par les pesticides de Monsanto.

Paul François de profil dans un champ

Un documentaire émouvant

Pour réaliser son documentaire La vie est dans le pré, Eric Guéret, qui avait déjà fait témoigner en 2011 Paul François et 3 autres agriculteurs intoxiqués par les pesticides, a filmé pendant un an (2018/2019) le quotidien du protagoniste. C’est en effet à cette période que Paul François fait ses premières récoltes bio, son expérience personnelle l’ayant conduit à délaisser une agriculture chimique dite conventionnelle, pour une agriculture traditionnelle, appuyée sur des solutions mécaniques pour traiter maladies et mauvaises herbes. Le film détaille comment un cultivateur converti au bio, et inspiré par l’exemple d’amis canadiens, réapprend à observer la nature, à utiliser la biodiversité en diversifiant ses plantations, ce qui favorise notamment l’apport des pollinisateurs, contrairement à la monoculture. Certes passer au bio a un coût, il faut changer de machines, embaucher plus de main d’œuvre (pour enlever herbes nocives à la main), et accepter de voir baisser les rendements. Les écueils sont nombreux aussi, on le voit dans la culture de haricots, sans expérience on fait des erreurs, il faut bien choisir les espèces à produire et leur emplacement. On économise cependant en pesticides, mais surtout on a la satisfaction d’œuvrer pour la protection de la nature et de la santé publique.

La santé de Paul François est au cœur de ce long métrage 

intoxiqué en 2004 en ouvrant une cuve d’épandage sans protection particulière (non demandée par le fabricant), notre hôte a vécu un véritable parcours du combattant. Hospitalisé pendant 5 mois, il garde depuis lors des séquelles nombreuses : lésions au cerveau, maux de tête virulents, diminution des défenses immunitaires. Soutenu par son épouse, il décide de porter plainte contre MONSANTO, racheté par BAYER, et est embarqué dans une procédure qui va durer plus de 10 ans. Le film met en avant toutes les manœuvres du grand groupe chimique pour se soustraire à ses responsabilités, en s’acharnant notamment sur la personne du plaignant. L’on découvre aussi que le produit incriminé (LASSO) a continué à être utilisé en France, alors qu’il était interdit depuis des années au Canada et en Belgique, et qu’il continue à être distribué à grande échelle en Chine. MONSANTO a finalement été condamné en appel, pour une responsabilité pleine et entière, mais à quel prix ! Sylvie, l’épouse de Paul, n’aura pu partager cette victoire avec sa famille, car elle décède malheureusement d’une rupture d’anévrisme pendant la période de tournage …

Le combat continue

Faisant face à l’adversité, Paul François continue à se battre pour une agriculture respectueuse, malgré les freins de certaines autorités et les réactions d’autres agriculteurs de sa région.

Lors de ses interventions auprès du public de Ciné Laudon, il a expliqué s’être investi pour la création d’une association et l’obtention d’un fonds dédié aux victimes des pesticides, en faisant reconnaître des maladies professionnelles, comme Parkinson et le cancer de la prostate ; 1500 dossiers ont déjà été traités. Des études menées pendant 20 ans sur la santé des agriculteurs, peu diffusées, démontrent l’existence de nombreux facteurs de risques liés à l’utilisation de produits chimiques, même hors des temps d’exposition.

A une question d’un spectateur portant sur un éventuel engagement politique, Paul François a répondu que ses actions l’avaient déjà beaucoup mobilisé ces dernières années, au détriment de sa famille, et qu’il estimait avoir fait sa part. Pour lui, il est temps que les politiques prennent leurs responsabilités, ils ne peuvent plus prétendre ne pas connaître l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé publique. Malheureusement le lobbying de l’industrie chimique est encore très puissant.

La FNSEA n’a pour sa part pas soutenu Paul François, contrairement à la Confédération paysanne, à laquelle il n’a cependant pas adhéré pour garder son indépendance.

L’agriculture bio menacée par l’actualité ?

Paul François a souhaité sensibiliser le public aux menaces actuelles pesant sur la conversion à l’agriculture biologique : les baisses progressives des aides financières de la PAC, les labels parfois inadaptés, le manque d’eau, et surtout les conséquences de la guerre en Ukraine. En effet ce conflit génère des spéculations de toutes sortes, et impacte les modes de consommation. Même si la hausse des prix de l’énergie se traduit aussi par une augmentation des tarifs des engrais chimiques et pesticides, certains agriculteurs renoncent à passer en bio, ou même certains convertis se disent prêts à revenir à l’exploitation chimique, car le marché ne suit pas.

En cette période de crise économique, les consommateurs se détournent malheureusement des produits bios en raison de leurs coûts. Les producteurs attentifs à l’environnement ne peuvent toujours rivaliser avec d’autres , il suffit de prendre l’exemple des poulets : des poulets élevés en batterie sont mis sur le marché à 60 jours, alors que pour une volaille élevée traditionnellement le délai est de 90 jours ..

Notre intervenant a insisté sur la nécessité, au niveau  mondial, de consommer différemment pour limiter les importations intercontinentales, de privilégier les produits de saison, de faire des conserves …Il en va de l’avenir de notre planète et  de notre santé à tous.

Un parcours exemplaire

Par son témoignage, Paul François nous a beaucoup touchés : nombreux ont été les spectatrices et spectateur, très admiratifs, à lui poser toutes sortes de questions sur ses nouvelles techniques d’exploitation, ses résultats, mais aussi sur ses convictions et ses projets.

A l’heure où son combat contre MONSANTO risque de prendre une nouvelle tournure, nous avons senti combien le soutien de son épouse Sylvie lui manque, et quels doutes peuvent l’envahir.

Nous souhaitons à Paul François de trouver auprès de ses filles et de ses amis, !a force nécessaire à la poursuite de son chemin, et le remercions très sincèrement et chaleureusement pour la sincérité avec laquelle il est venu témoigner.

Paul François au Ciné Laudon en novembre 2021
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